Gouvernance des SIAO : Semaine de la rue au logement 2021

Retrouvez mon intervention (retranscription) du 18/03/2021, durant la semaine de la rue au logement organisée par la FAS

A écouter sur le lien https://www.youtube.com/watch?v=a3gEGzPYH2o, à partir de la 25ème minute…. mais bien sur, il faut tout écouter !

Bonjour

J’interviens pour relater 2 expériences de gouvernance des SIAO : L’exemple du GIP du Rhône et celui du GCS de la Loire.

GIP du  Rhône : Je suis, – à l’époque d’ailleurs au titre de la FNARS -,  une des co-conceptrice de la Maison de la Veille sociale du Rhône, que nous avons initié en 2008 et qui a préfiguré la création des SIAO.

Evoquer la MVS à son origine me permet de dire l’intention initiale de cet objet singulier : il s’origine dans le constat dénoncé à l’époque par les enfants de Don Quichotte, de l’existence d’un marché aux pauvres (chacun sélectionnait son public) et de la qualité et/ou de la faiblesse des réponses apportées à la question du sans abrisme.

L’ambition que nous avons alors tenté de faire partager au réseau et aux pouvoirs publics, était donc de co-construire, à l’échelle du territoire, une méta- organisation, qui permette à la fois la mise en relation régulée de l’offre et de la demande, mais aussi et surtout qui favorise, une acculturation (dans le faits par ex, via la mise à disposition de personnel sur l’accueil du SIAO) et la co-construction de réponses adaptées aux besoins des publics (via la fonction d’observation notamment).

Autant vous dire que le pari qui consistait à mettre autour de la table l’ensemble des parties prenantes pour élaborer un objet commun, n’a pas été aisé. Nous sommes parvenus de manière opérationnelle, à faire vivre cet espace de croisement : accueil de la demande, régulation via des commissions, échanges, rencontres, et finalement l’acculturation s’est faite…

La question de la gouvernance de la MVS a été tranchée à l’issue de la première année de fonctionnement qui avait été confiée sur le plan opérationnel à la FNARS.

Nous avons plaidé alors pour un GIP, car il nous paraissait essentiel de mettre autour de la table tous les acteurs. Aussi, et j’ose l’avouer, parce que les associations du secteur n’étaient pas mures pour se mettre d’accord sur une gouvernance partagée. Ce faisant,  le GIP s’est construit sur des modalités classiques, avec une composition constituée de collèges (les pouvoirs publics, l’hébergement, l’habitat le logement accompagné, etc, etc…). et bien évidemment avec dans chaque collège des représentants désignés. Rien pour penser l’animation du groupement.

Qu’est-ce que ça a donné : malheureusement,  – et ce que je dis n’engage que moi et ne vaut pas pour la période actuelle – ce que ça a donné, c’est précisément un modèle de gouvernance pyramidal, … Une scène de théâtre, où les jeux d’acteurs prennent le pas sur le scénario prévu. Les AG, conseils d’administration et autres instances de gouvernance étaient pilotées par l’Etat, et agissaient comme des chambres d’enregistrement de décisions qui étaient prises par ailleurs.

Le modèle de coopération que nous avions appelé de nos vœux, convaincues qu’il fallait structurer des espaces de travail ouverts, des instances de mises en débats des orientations et des pratiques et pourquoi pas des conditions de travail, avec la promotion du professionnalisme, de l’autonomie et surtout une approche par l’usage (qui donne la place aux usagers…) n’a pas été possible, ni même je crois, envisagé.  

Je ne dis pas que ca n’a permis de faire fonctionner de façon opérante l’outil SIAO, en tant qu’instrument de gestion de l’offre et de la demande, mais pour autant, ca n’a pas été l’occasion d’initier de nouvelles relations entre les pouvoirs publics et les acteurs de l’hébergement et ca n’a pas été ni un lieu de débat, ni un lieu de co-construction, ni un lieu d’innovation.

Autre lieu, autre temps : le GCS de la Loire : Le Groupement de coopération Sociale de la Loire qui porte le SIAO a été créée en 2011 à l’initiative d’une quinzaine de structures associatives. J’y suis intervenue en tant que directrice de transition en 2019/2020, à la suite d’une crise institutionnelle qui a conduit au départ simultané de la directrice, de l’administrateur, à l’exercice du droit de retrait puis à des arrêts maladie d’une grande partie du personnel.

Qu’est-ce qui est à l’origine de cette crise grave et surtout comment avons- nous rebondi ?

Premier point : sur le plan organisationnel. On était sur un modèle, quasi caricatural, de système techno administré avec un niveau de bureaucratisation élevé, qui rendait la structure  conforme. J’ai d’ailleurs lu une étude réalisé sur les SIAO de la région qui datait de l’année précédant la crise, et qui plaçait le SIAO de la Loire en tête sur tous les critères et indicateurs de performance.

On était en réalité, sur une organisation dysfonctionnelle à la fois sur le plan humain, (la gestion des salariés catastrophique), sur le plan partenarial (des relations majoritairement dégradées), sur le plan de la prise en compte des usagers (j’y reviendrai) et c’est quand même à la suite d’une interpellation du préfet que la crise a eu lieu.

…. Alors, Si vous m’y autorisez, je saisis l’occasion pour faire une parenthèse (qui n’en est pas une en réalité, tant ca me parait être un point nodal de l’évolution des institutions sociales) : celle de la place des usagers. J’y reviendrai sur la gouvernance, mais que dire de l’impensé sur la participation des usagers dans la gestion même de leur demande. 2 éléments :

  • j’ai été estomaquée de constater que le logiciel SI-SIAO ne prévoit pas de place pour l’expression de la demande par la personne elle-même. Il n’y a, après les classiques indications sur l’état civil et le parcours … que des préconisations, donc pas de formulation de la demande directement par la personne, juste la préconisation du premier travailleur social, du 2ème, voire du 3ème. Dans quelle autre circonstance, si ce n’est la tutelle mais là c’est normal,  un usager ne peut faire une demande sans un tiers ?
  • Autre élément : l’absence de recours formalisé quant à la décision d’orientation. J’ai mené une petite enquête sur la région AURA et constaté avec effroi, qu’aucun SIAO n’avait organisé réellement le recours : au mieux une phrase sibylline, mais jamais de commission par exemple où les personnes pourraient être reçues, pas de formulaire, à peine d’information sur les droits, dans le meilleur des cas, on peut réétudier la demande transmise par un tiers toujours… en clair, la personne doit être bien contente déjà d’être hébergée ou logée là où on lui dit d’aller. (Peut être que ça existe dans d’autres régions  je suis preneuse).

Mais pour moi, c’est très signifiant de la difficulté à considérer l’usager comme partie prenante de l’organisation et de l’action que conduisent les structures. On est quand même loin de l’héritage de l’éducation populaire  – ou de l’ESS –  de l’usager qui coopère pleinement à la délibération collective,… on est même très loin des démarches (et c’est un comble) de design par l’usage en vigueur désormais dans certains secteurs de l’économie de marché…. 

Voilà ! Si je puis me permettre, AU SECOURS les amis de la Chaire « Publics des politiques publics » de l’Université de Grenoble… Ça c’était ma minute pub pour dire leur travail remarquable sur cette question !

Je ferme la parenthèse mais pour mieux revenir à cet enjeu de construction d’organisation coopérative, qui réunirait l’ensemble des parties prenantes y compris les usagers dans des relations construites et équilibrées.

C’est ce que nous avons expérimenté dans la Loire : je laisserai Fanny dire comment ça vit, mais je vais  exposer comment nous avons essayé de le penser et le co-construire.

A la création du Groupement, la structuration juridique a été pensée, pas la gouvernance. Les associations ont créé un Groupement de Coopération Sociale, mais ils ont oublié de faire vivre et le Groupement et la Coopération. Ils se sont répartis les sièges suivant les bonnes vieilles habitudes de représentativité, espérant ainsi réellement agir, discutant même dans les statuts des questions d’équilibre des pouvoirs, de contrepouvoir, et pourtant y’a pas eu d’alerte ou réactions jusqu’à la crise ! Redoutablement classique si je puis me permettre…

Ma mission a consisté à aider à sortir de la crise, en faisant un réel pas de côté, et j’ai donc essayé de soutenir un modèle matriciel plus souple, qui remet en cause le tropisme de centralisation (poussé à l’excès dans ce cas) au profit d’un modèle surement plus complexe, mais qui mise sur la capacité collective à agir.

  • il y avait des administrateurs provisoires très impliqués qui ont réfléchi le modèle coopératif avec qui nous avons tenté de repenser la gouvernance, et …ça était validé par les membres du GCS
  • Ça a été l’occasion également de renouer avec la DDCS un dialogue riche et de repenser les places réciproques, à la fois sur la recomposition du projet SIAO, les modalités d’interventions, la création de nouveaux espaces de collaboration et même de rêver le territoire ligérien comme un territoire d’expérimentations et d’innovations sociales.
  • Enfin, chemin faisant on a tenté (le COVID a un peu freiné nos ardeurs) de construire une culture  commune partagée, avec des outils d’intelligence collective,  fondée sur la confiance, la réciprocité, pour tenter d’élaborer un corpus commun qui serait la base d’une gouvernance plus équilibrée et surtout plus féconde….  pas sure que ce soit totalement gagné, mais on a essayé de sortir des habituelles réunions où il ne se décide rien d’autres que la position dominante.

Les SIAO de mon point de vue, s’ils sont pensés comme Méta-organisation (j’insiste sur le terme) peuvent être les nouveaux espaces de co-construction de politiques publiques dans le secteur de l’AHI,  matures, adaptées aux besoins des publics et assumées.

Et si on veut faire vivre une véritable dynamique territoriale, ils sont surement les bons outils. Sous réserve de débureaucratiser ces organisations, d’assumer la complexité en arrêtant de produire des normes ou imposer des modèles, et sous condition de promouvoir le droit et la nécessité de délibérer, d’expérimenter, de faire vivre une connaissance pluraliste,  et d’admettre le principe de subsidiarité.

Alors évidemment cela impose  pour tous, un lâcher prise :

  • pour les associations d’une part : la revendication de leur indépendance et la peur d’être instrumentalisé, alors même qu’elles sont rattrapés par une pensée managérialiste selon les termes de Jean Louis Laville l’appropriation d’outils d’organisation et de pilotage selon des normes gestionnaires)
  • du cote des politiques publiques : le soupçon d’amateurisme à l’égard d’organisations qui sont pourtant devenues des prestataires plutôt conformes, la peur des idéologies et du politique qui empêcheraient  de construire un dialogue serein
  • et je ne parle pas bien sur, de la peur « commune » suscitée par la présence des publics qui seraient soit incapables, soit potentiellement dangereux

Je crois pour ma part, profondément, que Bâtir de véritables organisations coopératives est aujourd’hui un enjeu majeur, parce que c’est une nouvelle conception du travail et un chemin vers la transition, et  que c’est indispensable dans cette période de grande mutation.

Bien sur, il ne s’agit pas de plaquer des modèles … mais de produire des organisations pr qui tiennent compte de notre modèle mental, s’appuyer sur les professionnalisme et l’éthique, travailler les questions d’autonomie et d’interdépendance, revisiter les modes de management, mais avant tout penser des  gouvernances partagées, c’est-à-dire où on accepte la pluralité des points de vue, on renonce en contrepartie à une hiérarchisation entre les parties prenantes et on travaille le processus de décision.

Les politiques publiques ne peuvent pas être exclusivement descendantes, et les institutions sociales doivent être des espaces démocratiques, c’est pourquoi il faut oser d’autres gouvernances :

Pour résumer, il faut oser la coopération, oser la conflictualité, oser la participation :

  • oser la coopération : La coopération ce n’est pas du partenariat. c’est penser des relations d’équivalence, c’est construire des modalités de prise de décision, C’est se doter d’outils de la coopération (les outils numériques par exemple), c’est se former en commun
  • oser la conflictualité : on a déjà essayé le travail social prescrit, …. et il faudra bien confronter  les différentes références théoriques pour recomposer une offre adaptée. il faut faire se rencontrer les savoirs expérientiels et profanes, les savoirs professionnels et la recherche, les politiques et les institutionnels…
  • oser la participation : Il faut prendre l’usager en tant que sujet politique et les situations qu’il vit comme des situations politiques. Ce sont des personnes titulaires de droit qui doivent exercer pleinement leur citoyenneté.

Ma conclusion : j’ai la conviction que les SIAO sont des objets pertinents pour favoriser la transformation, et je plaide évidemment pour que ….s’il y a des moyens à mettre sur les SIAO, on les recentre sur l’accompagnement à une gouvernance originale qui favorisera la coopération territoriale. Merci je laisse Fanny (actuelle coordinatrice du SIAO

Christine VIGNE, restranscription d’une intervention orale. 18/03/2021