- Christine VIGNE (Directrice de transition)
- Publié le 24 mars 2022
EPHAD, Etablissements de Protection de l’enfance ou pour personnes handicapées, centres d’hébergement d’urgence, … les établissements médico-sociaux ne sont plus épargnés par les critiques : maltraitances dénoncées par les médias, expression du mal être des salariés, crise de gouvernance et départs des directions ou des cadres intermédiaires.
Le champ de l’action sociale et médico-sociale représente près d’un million de salariés et 35 000 Etablissements et services en France. A la demande externe des financeurs, ou à celle interne de conseils d’administration, et pour répondre aux soupçons persistants d’amateurisme et de mauvaise gestion, les transformations ont été nombreuses depuis 20 ans : regroupements, fusions, création de siège, centralisation de fonctions supports, augmentation des niveaux hiérarchiques et des cadres intermédiaires, organisation par pôles…
Nous avons construit une division du travail qui s’apparente au taylorisme, à la manière de Monsieur Jourdain, sans le savoir et sans le reconnaitre. La définition de la stratégie au sommet, la structuration en silos, la délégation des taches, la définition de fiches de postes sont autant de mécanismes qui ont conduit à la perte du métier. On ne s’appuie pas sur les compétences et les appétences des salariés qui comme dans l’industrie, consacrent de plus en plus de temps à du reporting au détriment du terrain ; on définit par le haut sur la base de recueils de bonnes pratiques devenus garde-fou du système.
Nous avons singé les modèles d’organisations dominants du secteur marchand en oubliant notre propre modèle mental et nos métiers.
Aujourd’hui, nous avons des institutions malades de leur centralisme et hiérarchisation, des organisations malades de leur bureaucratie, de leur planification, …. ce qui a pour effet la déresponsabilisation, le désengagement, la souffrance au travail et dernier avatar la perte d’attractivité.
Injustes, caricaturales, ces critiques sont souvent mal reçues par des directions professionnalisées, investies, mais qui résistent encore à tester les modèles émergents de gouvernance, voire les raillent en décrivant leurs formes excessives ou les raccourcis du bonheur au travail, en rappelant par association fallacieuse, les échecs d’expériences d’autogestion des années 70.
Intervenant pour ma part majoritairement dans des moments de crise, en tant que directrice de transition, je constate que même face aux dysfonctionnements de leurs Ets ou services, il leur est difficile d’accueillir des propositions qui redonnent de la capacité à agir au terrain, par peur de perte du contrôle parfois de perte de pouvoir.
La transformation des organisations de travail est néanmoins en route et dépasse le phénomène de mode pour devenir un enjeu sociétal. Sociocratie, Holacratie, gouvernance partagée, entreprise libérée ou autre organisation opale, tous ces modèles essaient de garantir, voire de promouvoir le développement personnel, l’autonomie et l’interdépendance des salariés dans des institutions plus coopératives, qui clarifient leur raison d’être.
Nous devons nous aussi, nous poser la question de « comment transformer les organisations dont l’objet est d’abord de développer une attention aux autres, sans prendre soin des équipes » !
Nous pouvons développer des modèles d’organisation hybrides propices à ces changements, en essayant de réinvestir nos modèles mentaux et se réapproprier nos savoir-faire : le lien, la relation, la clinique.
Ne pouvons-nous par exemple, imaginer, construire et surtout faire vivre des organisations matricielles qui sont un juste équilibre entre :
- le pouvoir hiérarchique (la verticalité) qui garantit le cadre, la règle, par le lien de subordination
- et la coopération (l’horizontalité) qui permet le développement de la capacité à agir de professionnels et d’équipes autonomes par la déclinaison du principe de subsidiarité
De notre place de directeur de transition, nous pouvons nous interroger sur notre rôle dans cette transition. C’est de mon point de vue, le moment opportun pour l’initier : le temps des ruptures et du pas de côté.
Bien sûr, cela suppose une volonté, un temps long que nous n’avons pas, un engagement d’un leadership différent et un alignement sur les 4 sphères :
- Les collaborateurs les professionnels de terrain qui peuvent être assez partants pour plus d’autonomie, lorsqu’on est parvenu à soigner les blessures
- Les cadres intermédiaires souvent en difficulté, notamment parce qu’ils portent une charge démesurée et l’illusion de la maitrise
- La future Direction (et ou la direction générale) qui pourrait être ravie d’exercer un management dans la confiance et d’être allégée des fonctions de contrôle
- Les CA qu’il convient d’initier car cela induit une perte de maitrise et la remise en question des indicateurs économiques et de performance
Promouvoir la démocratie au sein des organisations est donc un chantier auquel l’ensemble des parties prenantes doit s’atteler : conseils d’administrations, directions générales et intermédiaires, salariés, organisations syndicales et réseaux, mais aussi organismes de formation et pouvoirs publics.
Cela impose de réfléchir de nouveaux modèles de gouvernance, plus ouverts à la pluralité des points de vue (usagers, salariés notamment) ; la construction des plateformes ou structure coopérative (GCSMS, GIE, …) sont des occasions qu’il ne faudrait pas rater en reproduisant les modèles en vigueur.
Cela induit également que nous travaillions à la mise en œuvre effective du principe de subsidiarité1 et à la construction de rapports professionnels fondés sur la relation de confiance. Développer la capacité à agir des professionnels nécessite de clarifier ce que sont les espaces de concertation, de délibération et de prise de décision et comment ils fonctionnent, ce qui impose de partager la stratégie.
Cela signifie de travailler et définir la conflictualité et non la sécurité, pour construire du désaccord fécond2, et passer à un modèle adulte de relation.
Aucune réaction face aux critiques bien ou mal intentionnées, justifiées ou parfaitement injustes, ne sera aussi efficace que de consacrer notre énergie à inventer ou recréer de la coopération dans nos organisations médico-sociales.
J’emprunte ma conclusion à @Roland Janvier et @Jean Claude Dupuis3 : « La coopération présuppose pour les acteurs d’accepter de dépendre des autres et donc de renoncer à l’indépendance et aux protections offertes par le travail en silos. (…) Cette forme d’entreprenariat, en rupture avec les conceptions classiques, repose sur un « professionnalisme délibéré », c’est-à-dire, sur des processus organisationnels qui visent intentionnellement, d’une part la promotion du professionnalisme, et d’autre part, un partage dudit professionnalisme entre les principales parties prenantes de l’organisation. Cette visée renvoie fondamentalement à l’autonomie, au sens du « pouvoir de dire » ce qu’est un travail de qualité et, lié, d’activer son « pouvoir de faire ». Le « professionnel » est une personne qui, confrontée à des situations données ou des problèmes, sait quoi faire et comment faire ».
1 le principe de subsidiarité est le principe selon lequel une responsabilité doit être prise par le plus petit niveau d’autorité compétent pour résoudre le problème. C’est donc, la recherche du niveau le plus pertinent et le plus proche des professionnels. Il conduit à ne pas faire à un échelon plus élevé ce qui peut être fait avec la même efficacité à un échelon plus bas. Le niveau supérieur n’intervient que si le problème excède les capacités du niveau inférieur (principe de suppléance).
2 Patrick Viveret : « construire le désaccord fécond » entretien du 4/07/2017, Amis de la Vie
3 Roland Janvier et Jean Claude Dupuis : assumons la complexité organisationnelle, in Directions, 03/02/2021 https://www.directions.fr/Piloter/organisation-reglementation-secteur/2021/2/-Assumons-la-complexite-organisationnelle–2054960W/